08/07/2010

Le temps déborde



Clémentine avait toujours le chic pour disparaître. Une fois, à l'occasion d'une partie de cache-cache, on l'avait cherché pendant cinq heures. On l'avait finalement retrouvé dans un vieux placard dans la cave, recroquevillée tout au fond, endormie. On l'avait mise au lit avec une tasse de verveine sans se poser plus de questions.
Mais aujourd'hui, Clém avait dix-sept ans et continuait son petit jeu. Joël avait fini par découvrir toutes ses cachettes, ses terriers, ses cocons; mais de temps en temps, elle disparaissait pendant quelques heures, et Joël l'attendait dans sa chambre, feuilletait les albums de sa bibliothèque ou dépoussiérait ses vinyles. Il avait fini par l'attraper, cette petite sauvage, il avait réussi à l'apprivoiser. Ou du moins, c'était ce qu'il croyait.
Lundi dernier, Joël n'eut pas son message matinal, et il eut soudain une mauvaise impression, l'intuition qu'il était arrivé quelque chose de grave à Clém. Alors, il fit le tour de Montmartre, du Marais, de tous les cafés préférés de Clém, du Jardin du Luxembourg. Il commençait à désespérer, et puis au loin, sur le pont Mirabeau, il vit une silhouette, une petite ombre rousse qui ondulait sous le soleil.
Elle était là, Clem, la tête entre les mains, les yeux fixés sur les reflets argentés de la Seine monstrueuse. Joël l'embrassa dans les cheveux, tout doucement. Clémentine ne disait rien. Et puis, elle commença à réciter le Pont Mirabeau, d'Apollinaire. Joël retenait son souffle. Quand Clém déclamait des vers, c'était mauvais signe, elle n'était d'humeur lyrique que quand elle était au trente-sixième dessous.

« Passent les jours et passent les semaines/Ni le temps passé, ni les amours reviennent/Sous le pont Mirabeau coule la Seine »

Quelques minutes interminables passèrent. Devant Joël, Clémentine commençait à respirer avec difficulté, oppressée. Il voulait lui dire « hé Mandarine, qu'est ce qu'il se passe ? » comme il le faisait toujours pour la faire rire. Mais quelque chose flottait dans l'air, et ce quelque chose ne lui inspirait rien de bon.
Elle leva les yeux vers Joël. Les belles planètes bleues étaient embuées de larmes. La bouche de Clém se tordait en une grimace douloureuse, les commissures quasi retournées, comme une parenthèse de peau rosie par le soleil brûlant.



« Mon père est mort... »


Clémentine tomba dans les bras ballants de Joël, pleurant à chaudes larmes, tenant à peine debout. La Seine allait plus vite, le soleil chauffait plus fort; et pourtant rien n'avait changé, tout reprenait son cours. Comme si de rien n'était...




Vienne la nuit, sonne l'heure. Les jours s'en vont, Clém demeure.





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