04/05/2011

L'aube impossible

(Je sais maintenant. Berlin, c'est une ville qui est faite de la même matière que les rêves. La même matière que toi)

Les lumières de Berlin, la nuit. Tout est illuminé. La petite croix sur le dôme, en face, elle n'y était pas avant. La cigarette tombe sous mes pieds – petite gerbe d'étincelles orangées qui éclaire la nuit, puis s'évanouit. Un bus passe encore, à cette heure-là ? J'ai un goût de rhum-coca dans la bouche. Profite, profite. Tu avais tellement envie de te retrouver là, autrefois. Ma tête est pleine de mots allemands, c'est bête hein, je trouve que c'est une langue affreuse. Mais certaines personnes les prononcent tellement bien, c'est comme s'ils enrobaient chaque phonème d'un peu de sucre, d'un peu d'amour. Alors je les vole, à ta bouche directement, je les arrache à tes lèvres, mes maudites rivales. Je veux leur faire la peau. Cette nuit, tu es à moi – Berlin est à moi, ces rues que je ne connais pas, ces façades étrangères, donne les moi, je veux les apprivoiser, à défaut de t'apprivoiser, toi. Alexanderplatz, c'est de quel côté ? Ah, et j'ai de la musique balkanique en tête, aussi; j'ai le cœur qui bat comme des percussions.

(J'avais mis ma robe bleue à fleurs, et après je m'étais dit pourvu que je ne fasse pas trop jeune; comme ces adolescentes qui tentent d'entrer en boîte, la figure peinturlurée et les yeux ourlés de noir, une clope et des jurons tout prêts au bec. Je voulais qu'on me prenne au sérieux, c'est tout. Et puis, je n'aime pas les choses tièdes. J'exècre les demi-mesures. J'ai horreur des moitiés. J'ai eu tout d'un coup, sans tambours ni trompettes; et me voilà sans presque rien, des larmes de honte sur l'harmonica, plic ploc sur le métal (allemand, d'ailleurs, schieze). Mais non, ce n'est pas moi, ce n'est pas ce que je veux. Et je ne veux pas te faire attendre trop longtemps. Je ne veux pas te laisser t'endormir, reste encore avec moi.)

Je ferme la porte-fenêtre. Il fait froid dehors, et puis je suis pieds nus dans le salon, et j'ai froid, sans toi. Tu m'attends au lit, je vois ton dos tout blanc, et les marques du drap sur ta peau; c'est con à dire, je sais, mais j'aurais pu rester là, sur le pas de la porte, et t'attendre. C'est ce que je fais, toujours. J'ai les mains froides, tu me les prends et les réchauffe contre ton torse brûlant. Et moi, j'avais la bouche pleine de fais moi rester, fais moi rester, je t'en prie. Ça aurait fait trop mélodrame, je pense. Et le soleil se lève toujours, ce putain de soleil.


Living on my own ? J'en serais bien incapable.



("C'est par une nuit comme celle-ci que, beau joueur, j'ai traîné dans les airs un filet fait de tous mes nerfs. Et quand je le relevais, il n'avait jamais une ombre, jamais un pli. Rien n'était pris. Le vent aigre grinçait des dents, le ciel rongé s'abaissait et quand je suis tombé, avec un corps épouvantable, un corps pesant d'amour, ma tête avait perdu sa raison d'être.")