15/11/2011

Air vif




« Etre parisien, ce n'est pas être né à Paris : c'est y renaître. » (S. Guitry)

Le vent lâchait ses bourrasques et la brise me frappait au visage à la sortie du métro. Il faisait claquer les petites annonces accrochées aux lampadaires et soulevait même la jupe de quelques femmes pressées. Elles se recouvraient rapidement les cuisses d'un geste un peu impatient, sans doute habitué, avec une moue agacée à peine esquissée sur leur visage trop lisse.

Là-bas, le soleil s'étirait et se couchait dans des draps faits de faux brouillard, un ciel comme je pensais ne plus jamais en voir : rose et bleu zébré de gris, comme lacéré, suturé, mal cicatrisé. La grande métallique, la dominante des cartes postales, se dressait au loin (le troupeau des ponts bêle ce matin) - et les Tuileries s'étalaient, jungle plate et pâle, opale fidèle, sous les rayons qui fléchissaient.

Le chignon d'Agathe bougeait quand elle marchait. Elle me jeta un regard, acheva sa cigarette - l'oppressa sous sa semelle agacée. De sa gorge sortait doucement de lentes volutes blanches et bleu cobalt.
« On va s'asseoir ? »

Clic, clac. Photo prise. Elle me voulait nette au milieu d'une foule floue. Pendant qu'elle réglait la mise au point, je m'efforçais de sourire, concentrée. Mais je pensais à Poitiers.

Un petit garçon - boucles blondes, manteau boutonné jusqu'au cou - s'appliquait à sauter sur chaque plaque qui ponctuaient le trottoir, en évitant soigneusement le sable entre chacune d'entre-elles, comme s'il s'agissait d'une mare au diable cachée, de mâchoires de colosses ou de l'antre d'un monstre vorace. Et à chaque fois qu'il s'élançait pour rejoindre une des berges (là où je serai enfin en sécurité), on l'entendait compter à voix haute (à la une, à la deux...) en prenant son élan, comme pour se donner du courage.

Deux hommes en vélo (l'un d'eux suait un peu, son T-shirt lui collait au dos et il s'y dessinait un long trait de chaleur, comme une déchirure) nous jetèrent un regard à la dérobée et Agathe étouffa un sourire dans son col - mais moi je sais, je le connais ce sourire ; et je crois bien avoir vu ses dents briller au travers des mailles.

On ne parlait plus, pas la peine - le brouhaha n'avait pas besoin de nous. Des Anglais sont passés tout près (gorgeous, isn't it ?), précédés par des Chinois à la queue-leu-leu et je reconnus même des bribes d'italien derrière moi. Une voiture de police a déversé bruyamment ses sirènes. Une cloche a cogné quelque part. Un bébé pleurait un peu plus loin.

Assises, les pieds suspendus, les yeux fixés sur tout et rien - sur le tout du rien.

Un avion léchait le ciel et laissait derrière lui, en souvenir vaporeux de son passage, une longue et mince trace blanche (comme l'escargot qui se traîne se freine bave et repart) ;

Les oiseaux par centaines, côte à côte, gris charbon, un mur qui ne battait pas des ailes ;

Les arbres pudiques hésitaient à se dévêtir tout à fait (automne, saison des grands timides) ;

Les feuilles mortes se languissaient d'une sépulture... ou d'un coup de balai.

(Ville molécule, gigantesque microcosme, je me suis perdue dans ton ventre. J'ai mangé ton pain, Paris. Et j'ai tes images plein mes tiroirs.
J'allais enfin savoir pourquoi. Pourquoi tout ça.)

Il était tard, le soleil s'était couché pour de bon. Il nous restait du chemin à faire. On vendait des petites tours Eiffel en porte-clés - les vendeurs les secouaient, gling gling, et le soir chantait. La nuit, petit à petit, reprenait ses droits. Nos mégots ont roulé par-dessus la pierre - aussi éphémères et ignorés que nous. Et nous sommes parties.
Je ne compterai plus les jours.



07/11/2011

Certitude






(A jamais et pour toujours)

Mon amour risible visible indicible
Tu m'as quitté sans prévenir sans périr en silence brève romance
Ton café t'attend deux sucres comme avant et il a fondu sans fondre vraiment
Attention je reprends tout à fait va et vient le matin surtout le matin
et les larmes le soir tes larmes d'ivoire je les vois encore dans le noir
du couloir
Ton cœur à contre-temps du mien le cœur dans une boîte ce cœur qui n'en peut plus
de ne plus battre
Battre pour rien pour faire joli pour faire semblant
De temps en temps
Un bout de décor
Bête bout de viande froide - et le sel de mes yeux comme à Noirmoutier

Tu as gratté les contours et les a fait baver sécher tuer tirer pour t'échapper
Sauté par-dessus les limites les cordes les bornes les limites
Écorché contre le barbelé petits bouts de chair coincés
dans le maillage en fer forgé blanc craie faux vrai
Pour de vrai
Déchiré délavé différent
Puis indifférent
- J'ai englouti les corps à corps bouche à bouche pour te faire taire
Et te faire terre pour t'enterrer plus profond jusqu'au fond du tréfonds (petit con)
Creuser comme tes rides creusent ton front quand tu ne changes pas d'avis
J'ai voulu toi puis rien puis rien d'autre que toi
C'est grandiose sublime terrible tout à la fois
Comme du Klimt après une gueule de bois

Le tictac de l'horloge comme ton pouls sur ton cou tout à coup
Le ronron du chat comme tes yeux qui se brouillent déjà ;
Ta saveur s'évapore sachet de thé trop vieux ma carcasse faite de plis et de tâches
Mon écorce ponctuée points de suspension elle croque et craque sous tes pas et tes dents
Sous tes bientôts en forme d'adieux goût de sciure et de boue
Trésor de mon printemps enterré malenterré endormi malréveillé
Le sable dans ta bouche et tes doigts de glace tiède tes couleurs qui s'entassent et toujours
Mon amour ton café dans la tasse

la nuit je me tais replié dos rond rotules collées
au nez
un g majuscule au travers du matelas
ton initiale au milieu de mes draps


(A toujours et pour jamais)

Tes lèvres oh tes lèvres celles de plume celles de plomb lourdes et légères à la fois jamais pareilles collées à tout sauf à moi pas le temps pour toi cliquetis des ressorts machine en route à ta volonté bouillie de cendres à ta suite un peu partout cailloux genoux hiboux dans le ventre, flacon en bois sur ton miroir dans ton miroir; soleil : source de chaleur et de lumière (mais me semble t-il ça n'a rien à voir), col de chemise amidonné chaussures vernies cuir italien et lacets gris prêt à porter prêt à sortir où est ta main dans ton blouson mais pas dans le mien, mal au cœur que tu peux être vilain la pluie gris perle anthracite gris souris me venge dans tes cheveux bruns la pluie idiote en obtiendra plus que moi, enfin


(Toujours)

Torsades -
Penser à acheter du lait c'est important le lait
Chéri je pars chéri je reste chéri tu sais
Encore et encore retourné nausée grillé fusée
Envolé !
J'ai mis le feu à tes cils démoli les fossiles empaquetés entassés ficelés
Avec des étiquettes
Numérotées
Ta peau comme du velours suédine satin ou soie
Après tout je n'en sais trop rien moi
Jamais je n'ai pu qu'avec les mains coupées
Jamais je ne peux qu'avec les yeux fermés
Jamais je ne pourrai qu'avec un corps troué.

Et mes paupières oublient au fur et à mesure.

(Jamais)