17/12/2011

Sans rancune

Chico Marx



J'ai toujours bien aimé le regarder fumer. Je ne sais pas pourquoi. La manière dont il tenait sa cigarette, ou comment il plissait les yeux. Ou sa petite bouche qui grimaçait un sourire un peu mal à l'aise. Je ne sais pas, au fond.


Il était là, contre le chambranle de la porte. Un peu plus tôt, j'avais tapoté le lit pour qu'il se mette plus près de moi, mais il avait refusé. Trop dangereux, avait-il dit. Sur le coup, ça ne m'a pas fait grand chose – le rhum coca m'avait déjà rendue bien docile. La radio passait une chanson d'amour, ça tombait mal.

Tout le monde était au courant de sa venue, sauf moi – surprise pour mes vingt ans. Il avait sonné, il était monté, avait fait la bise à toutes les convives qui me jetaient des coups d'œil complices. Et moi, fidèle à moi-même, je ne savais pas où me mettre. Je déchirais les papiers cadeaux en morceaux, je disais des inepties que je mettais sur le compte de l'alcool, je cachais ma nervosité tant bien que mal.

Conversation on ne peut plus banale – la famille, la fac, les invités. Ma bouche me brûlait de ne pas lui dire ce qu'il fallait dire et je n'osais même pas le regarder. Je me souvenais trop bien de ses yeux, couleur de notre été, d'un soleil que j'aurais bien voulu garder un peu plus longtemps pour l'hiver et les eaux froides. Mais j'avais oublié son parfum lourd et prenant, son rire si communicatif et la cicatrice au-dessus de sa joue, comme une longue larme rouge, qui le faisait ressembler à un clown triste.

Il est parti après minuit. Je me suis faufilée juste avant que la porte ne se referme sur lui et l'ai serré contre moi. C'était l'adieu que l'on n'avait pas eu. C'était le coup de poing qu'il me fallait. J'entendais derrière la porte les commentaires bruyants des convives et leurs yeux curieux collés au judas. Et ses excuses bafouillées, toujours avec ce même sourire gêné, maladroit. Ma bouche greffée à son cou retenait son souffle. Il s'est échappé brusquement, m'a jeté un au revoir hésitant en dévalant les escaliers.

Je n'ai pas voulu le voir partir par la fenêtre. J'aurais sûrement espéré qu'il se retourne. J'ai tué mes soupirs à coups de cailloux. J'ai ravalé la pierre que j'avais dans la gorge.



Et la musique que crachaient les enceintes ont rempli l'espace vide, quelqu'un d'autre a pris sa place sur le pouf près du sofa. Là-bas, il n'y a plus qu'une empreinte poussiéreuse de son passage, une vague senteur d'orgueil qui se fane et une bouteille vide qui trône sur la table basse.

12/12/2011

Suite


Aiguilles du ciel à deux balles. Je ne vous ai jamais plus détesté qu'aujourd'hui.

Et vas-y que je traîne ma valise à deux à l'heure. Je vous en prie, je vais juste attendre que vous daigniez arrêter de me faire perdre mon temps. Un rendez-vous ? J'ai une tête à avoir un rendez-vous ? Oui bon, c'est vrai, je ne suis pas en retard, non. Pour quoique ce soit. Pour une fois. Je veux juste marcher un peu, là, pour m'éviter de penser, j'ai le droit ? Marcher, vite et droit, pour l'empêcher de revenir.




Tu es là où on n'attend plus las d'attendre non Las d'entendre la symphonie d'un siècle mourant

Tué là ou on n'attend pas où tu vous Ils ont tous la même peau et ça ne fait même plus mal Le temps les temps où tu n'es pas là comme je regrette le temps où tu étais las quand les remords étaient cachés sous le sable et mes pieds sur le mur quel mur déjà Tu sais toi et moi le parapet... Oui celui-là peut-être qu'il est tombé peut-être qu'il est repeint aussi tu te souviens les aquarelles improvisées toi et moi sur la pierre métaphore au rabais C'était surtout toi et moi nous dans la mousse dans la buée de deux bouches jamais collées mais j'étais remplie de tout ce qu'il fallait dire et –

Pourquoi faut-il que le soleil se lève (il fait toujours nuit là-bas ? sur toi ? dans moi) et les hanches et les manches du lundi au dimanche elles crient ton nom Étouffé sous les draps mais ça je ne le dirai pas L'orgueil est plus fort et c'est toi oui toi qui as tort mais et moi mes émois ce n'est qu'un bout de temps ça me passera ce n'est qu'un peu de saisons que je gâche sans raison et si je parlais

mais je suis lâche –

Rend moi mes cathédrales je veux mes quais mes aimés mes quittés et les rires que je ne pensais qu'à moitié Et l'écume qui vient lécher mes pieds Et mon journal et mon café Oublié le filtre pas fait exprès


Morsures et paquets de nerfs, un peu plus un peu moins C'est rien Quand tu es loin Pas le temps de pleurer c'est l'heure de ma verveine (mais même les morceaux de sucre et le sachet tout rabougri me font penser à toi, c'est vraiment pas de veine)

A toi à moi, à l'improbable à la surprise en forme d'aveu à nos conflits muets à deux - pas besoin de le dire tu le sais je le crie en sourdine c'est mon secret livide celui qui dîne de mes amours pourries comme des fruits trop mûrs c'est mes talons qui claquent c'est mon baume des mutiques c'est le déjà-vu arrière goût métallique


(Buvons pour ne plus se souvenir pour ne plus se mentir)


Je reprends ce que j'ai donné ce que je t'ai légué les mains les seins la bouche et les mots qu'elle a jeté J'efface et je ne laisse plus rien J'irai creuser pour les reliques celles de mes ans fantasmés jamais justes Trop jeunes Pas au programme arithmétique de ta persistance ton impertinence Et tu sais que j'ai raison Mais tant pis viens me chercher tu seras pardonné dépêche toi Je n'ai jamais aimé les aéroports c'est plein de gens qui s'aiment trop fort –



Et mince ! J'aurais mieux fait d'aller au duty-free.