12/05/2013

Dorée




« C'était un mélange d'homme et d'adolescent. Il avait les sourcils longs et arqués, un petit nez d'enfant, des lèvres ourlées, animées par un frémissement permanent. Ses lèvres, on aurait dit qu'elles faisaient la moue, puis qu'elles s'élargissaient comme si elles voulaient embrasser, puis qu'elles se plissaient pour sourire ou juger : j'aime, j'aime pas, c'est drôle, c'est beau, je vais parler, je veux écouter et je vous comprends, je suis une bouche qui parle mille langages […] Ses yeux étaient aussi mobiles que les lèvres, tachetés de paillettes vert et or, un regard qui, lorsqu'il se posait sur vous, semblait dire :Vous êtes la personne la plus importe du monde.Mais une seconde plus tard, une variation dans le même regard disait :Tout cela ne présente aucun intérêt. »
(Manuella, P. Labro)




Ce n'est pas très malin de faire tant de projets quand nous serons réunis, tu sais bien qu'on passe tout notre temps enfermés, à comparer les nuances de nos deux peaux contraires. Et puis ça prend du temps, on perd le compte, on s'interrompt souvent, et ça peut prendre des semaines entières,


Et à se nourrir de miettes on feint d'être repu
C'est que l'attente sait se faire cruelle
Elle paraît douce au lever et puis dense avec les heures
Les draps si lourds du corps qui n'est pas
qui n'est plus
qui n'est pas encore là


Aucun mot ne lui va et il ne ressemble à personne. Il faudrait inventer une nouvelle langue rien que pour le décrire. Il dit « j'aime bien parler français avec toi », mais le français c'est bien gentil, ça ne suffit pas. L'anglais est un peu tiède et jamais comme il faut. L'italien pourquoi pas, c'est chaud et mobile et léger, mais je ne le parle pas bien

(depuis quand es-tu à moi
le seras-tu jamais)

Et ces jours qui n'en finissent pas, comme un hiver de dix mille ans. Et tous ces chiffres morts, et ces plaintes que je tais pour te garder encore. Enfin, ce corps qui n'est plus à moi puisqu'il n'est pas à toi. (Et je fais toujours rimer tes au-revoir à des mots noirs, poignard, brouillard, tu vois, ce genre de choses.)
Mon soudain, mon mage, dis moi; ma pâte de fruit, mon mauvais chat sauvage – dis moi, es-tu un songe, ou bien es-tu un homme... ?




(et quand tu te lèves
moi je dors dans des wagons)