09/03/2011

Sans avenir

(La femme cerne un petit homme coléreux / qui ne veut pas rêver ni dormir mais connaître / Et qui refuse de mourir sans tout aimer)


Andy collectionnait les mégots. Mais pas n'importe lesquels. Des mégots de filles. Les filles qu'il ramenait chez lui.
Empilés les uns sur les autres, ils reposaient dans une petite boîte de Bergamotes de Nancy rouge et or, toute rouillée (Maison Lefèvre, fondée en 1840). Menthol pour la plupart, et puis des petits trésors. Des bidies, des cigarillos.
En général, Andy n'arrivait pas à mettre un visage et une bouche sur chaque cigarette. Sauf celle-là. La toute dernière.

Une bête clope fumée jusqu'au filtre, mais il se souvient que c'était une Camel. Le paquet trônait sur l'accoudoir du sofa et le chameau, impassible, tenait l'équilibre grâce à ses deux grosses bosses bien pleines. Une trace de rouge à lèvres. Elle s'appelait Hannah. Elle avait des yeux larmoyants, un air pathétique, qui fondait comme neige au soleil quand elle parlait. Elle disait en riant que Hannah signifiait la grâce, en hébreu. Elle n'y croyait qu'à moitié. Andy ne s'imaginait pas un autre nom pour elle.

C'était la seule qui, au réveil d'Andy, n'était déjà plus là. La seule aussi qui avait laissé un petit mot sibyllin sur la table de nuit. Pas de numéro de téléphone. Juste un :
« Andrew vient du mot andros, l'homme, en grec. Sois un homme et oublie moi. La gracieuse. »

Sauf qu'Andy est encore un enfant : dites-lui ce qu'il faut faire, il fera l'exact opposé. Et voilà, collection achevée. Il ne veut plus que les cigarettes de Hannah dans ses cendriers. C'est ridicule. A demander grâce.