02/03/2012

Le devoir et l'inquiétude





NANCY 3



PLACE STANISLAS


J'étais debout contre la façade de l'opéra et j'attendais E. Mon attente fut de courte durée : je vis sa silhouette se dégager du brouillard et je reconnus – on ne peut la confondre avec aucune autre – sa démarche chaloupée, une allure de danseuse, sa grâce en mouvement sur les pavés glissants. J'y aurais succombé, à ses pavés, je serais tombée une ou deux fois en l'espace de seulement quelques mètres, avec ma maladresse habituelle.

Pas elle.


Ses joues très douces – rosies par le vent, deux petites boîtes de peau pleine de froid – effleurent les miennes dans un silence qui fait tâche, par rapport au vacarme que crachent les portes d'entrées. Elle agite son parapluie en me racontant sa journée. Je l'écoute, la tête penchée, les cheveux dégoulinant de pluie sous mon béret trempé.

Un jeune blond déchire mon ticket à l'entrée et je monte lentement l'escalier en marbre, un bout de papier dans chaque main, l'air nonchalant et un peu bonhomme : un petit pantin en chiffon chez les grands hommes.

La magie du brouhaha s'opère : l'orchestre se met en branle, tout doucement d'abord, comme s'il avait dormi cent ans, puis de plus en plus fort. Les cuivres parlent aux violons qui répondent aux hautbois et ainsi de suite, c'est sans fin, à la fin. Le chef-d'orchestre s'agite – c'en est même comique, ce petit être de rien du tout qui commande tout un peuple avec un bout de bois.


Et moi, je tourne la tête vers E. jusqu'à ce que le rideau se lève. Les lumières du décor se reflètent dans ses grands yeux verts. Et sa bouche, s'ouvrant et découvrant ses trente-deux airs entêtants, éclipse tous les bruits sous la voûte; tandis que sous mes cuisses, le strapontin gémit faiblement – protestation de l'écho, tristes shhhht aux gradins du dessous.



J'ai fait du lyrique avec un peu de plastique.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire