20/08/2010

Ma morte vivante


(J'étais si près de toi que j'ai froid près des autres)



Le problème avec Jane, c'est qu'elle n'aime rien, sauf les livres. Pire, elle couche littéralement avec. Comme elle n'a pas de table de nuit, elle pose son amant du moment sur l'oreiller, lui met un marque-page dans le bec et éteint la lumière. Son lit sent toujours l'imprimerie et la poussière. Pas d'after shave, pas d'eau de Cologne. Avec les mâles, elle a du mal. Un livre, c'est asexué, qu'elle sache ? Il lui ouvre ses pages et elle se blottit dans ses bras. Sa bibliothèque est son harem. Les livres ne mentent et ne volent pas, ne sont pas infidèles; mais ils ne vous offrent pas de petits cadeaux, ne vous embrassent pas sur la racine des cheveux pour vous endormir, ne vous font pas rire pour de vrai. Réveille toi, Jane, réveille toi. Mais rien à faire, une nouvelle romance a commencé, une romance de roman. Et puis, après tout, c'est du pareil au même. Le roman raconte une histoire, l'amour rend aveugle : dans les deux cas, vous n'êtes plus le même, vous vous adaptez; ce n'est qu'une affaire de crédules. On tombe sur un bon roman, on tombe amoureuse. Un baiser, une page. C'est ça, Jane, ce que tu ressens ?


Jane me regarda d'un regard placide et continua sa lecture, sans plus un regard pour moi. Autant dire que j'avais soliloqué pour rien.

Son nouvel émoi était vert et blanc, plutôt large. Ses doigts aux ongles rongés étaient crispés sur la peau craquelée, comme s'ils tentaient, impuissants, de la repousser. Ses grands yeux verts injectés de sang sautaient de mot en mot, de plus en plus vite, de plus en plus fort.

Elle lisait le monde selon Garp, d'Irving.




3 commentaires:

  1. j'aime beaucoup les histoires que tu racontes. Tu as vraiment du talent ; l'art et la manière de décrire les émotions et le temps qui passe.

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  2. Tombée sur ton blog par hasard, j'ai lu chacune de tes histoires, merci.
    Coline

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