Le temps passe et les rues changent.
Rue des M., sur la vitrine de l'agence
de voyages, s'étale une bannière du type
Vous ne vous êtes jamais demandé
quels commerces perdureraient d'ici un an, dix ans, cent ans ?
Certains nous surpassent en années, d'autres ne sont que passagers –
faute de clients, parfois. De temps à autres, il suffit de lever les
yeux pour retracer l'histoire.
Et bien souvent, il n'y a aucun lien :
la bonneterie laisse sa place à une couscouserie familiale, ou le
lavomatic s'incline devant une banque. Et chaque dépôt de bilan
enchaîne une série de pronostics (agro-alimentaire ? Compagnie
d'assurance ? Librairie d'occasion ?) tous plus ou moins improbables.
Alors, en passant devant cette boutique
à l'abandon de la rue des M., je me surprends à schématiser un
endroit à moi, pour moi.
J'imagine une brasserie – sentant le
vieux et le renfermé – dans la veine des pubs anglais, remplie de
fauteuils en cuir éventrés. A l'étage trônerait un billard en fin
de vie (tapis zébré de coups manqués, deux ou trois boules
manquantes). Une petite terrasse, jardin minimaliste, exposerait ses
quelques tables bancales, en bois d'acajou un peu patiné. La carte y
serait simple : les fish and chips et les crêpes au miel règneraient
en maîtres absolus. Il y fera toujours bon vivre, et surtout en
hiver, grâce à la cheminée en face du bar dans laquelle crépitera
un feu imperturbable – on y déposera pas loin nos chaussures
trempées par la neige de janvier.
Les cendriers et les ventres seront
pleins à craquer.
Une bibliothèque longera tout le côté
droit : des pages s'échapperont de quelques ouvrages trop anciens et
l'on passera trop de temps debout à parcourir l'étalage au complet,
puisque le gérant – feignasse notoire – se refusera à un ordre
quelconque (chronologique, alphabétique ou autre).
Un jukebox qui ne marche qu'en francs
fera sa loi : à la fin, on ne remarquera même plus que c'est
toujours la même chanson de Michel Berger qui repasse en boucle,
inlassable. Ce ne sera qu'un fond sonore aux derniers ragots, aux
longues discussions sur le temps qu'il fait ou aux concerts à venir.
Quelques jours plus tard, j'emprunte de
nouveau la rue des M. En fin de compte, c'est un énième salon de
coiffure qui s'installe.
J'aurais du m'y prendre plus tôt,
je bougonne en continuant mon chemin.
Il ne manquerait plus qu'un espace Boulangerie, avec croissants dégoulinant de pâte d'amandes et des tartes au sucre de 30 cm de diamètre et ce serait la perfection.
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