04/10/2011

Première du monde





Petite chambre d'étudiant, vieux Nancy. Fenêtre ouverte, donnant sur cour. Bruits de fond indistincts – jeunes chouillards dans la rue, chats qui miaulent et tutti quanti. Bureau spartiate : grande planche sur tréteaux en bois. Bouillie de cendres froides dans ramequin tunisien. Dedans, mégots blancs, vaguement arrangés en forme d'étoile. Une tasse de thé à côté du briquet. Décor minimaliste : photos de vacances patafixés sur le mur d'en face, livres à même le sol, deux-trois paires de chaussettes qui traînent. Une fille de dos, assise au bureau. Écrit doucement, à moitié décidée. Les breloques de son bracelet tintinnabulent.





GARANCE., la plume en l'air – Il faut que je pense au billet d'avion. Vérifier le prix à la dernière minute, au cas où, sait-on jamais. A moins que je ne prenne le train... ? Ou alors, je n'y vais pas du tout. Après tout, c'est la solution qui me semble la plus sage. Oui, continuons dans cette optique. (Écrit lentement Je ne viendrai pas – puis abandonne) Non, non, il n'y a rien à faire ! Rien de rien ! Qu'il me demande, et je ne saurais dire non. (Soupir) C'est terrible, cet air qu'il a toujours. Je le vois sous mes paupières. Un fantôme qui s'agite, une ombre qui flotte. Rien de tangible. Il est fatal dans son absence. Des mois que j'écris des lettres pour lui, que je froisse et que je jette, à jamais insatisfaite. Tiens, celle du quatorze, par exemple. La première, la plus brute, la plus fraîche. Je la signe, la relis – elle me semble exacte ! Et pourtant... ! Au moment même où le timbre est collé et l'enveloppe fin prête, tout me semble étrangement suspect. Cette tâche de suie, cette encre trop sombre, cette virgule un peu courte. Et puis, au bout du compte, les phrases que j'avais mises côte à côte de façon qui m'avait semblé judicieuse pendaient tristement, désarticulées. Petits pantins ineptes. Allez vous faire foutre, tous autant que vous êtes.




(Silence. Il fait froid. Une gorgée de thé vert, mais Garance frissonne. Elle se lève pour fermer la fenêtre. Revient s'asseoir en se frottant les mains. Fait craquer ses doigts.)




Oui, donc, ne pas y aller. A marquer partout au feutre, en majuscules, en lettres de feu : NE. PAS. Y. ALLER. Sur le frigo, dans ma paume, sur des post-it. Créer un mémo sur mon téléphone. Surtout ne pas oublier d'oublier. Et si ça ne fonctionne pas... ? Ça fonctionnera. Ça ne peut que fonctionner. Avec tout ça, j'ai de l'encre sur les doigts. Et mon thé est trop infusé, à tous les coups !




Elle retire le sachet dégoulinant de la tasse et le dépose à même la feuille. Se lève pour se laver les mains, sort de scène. Sur la lettre, le thé auréole le papier et l'eau brouille un peu les mots.


Lentement, les premiers mots s'effacent – Je ne viendrai pas se noit. Dans l'immensité de la page blanche,on ne lit plus que vien s.


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