15/10/2010

On ne peut me connaître


(Un sort meilleur qu'aux nuits du monde)

Je n'avais pas assez d'argent pour prendre un taxi, alors j'ai demandé mon chemin, une fois, deux fois. A la fin, j'ai erré quelques heures dans le blizzard qui sentait le poisson, avant de m'arrêter, le ventre criant théine. Près des docks de Liverpool, j'ai croisé un homme qui regardait comme fasciné les navires des pécheurs. Il était attendrissant avec ses yeux d'enfant, une barquette de chips sur les genoux. Le bout de ses doigts était rougi par le froid, à peine réchauffé par la tiédeur des maigres pommes de terre qu'il menait à sa bouche, une petite bouche en forme de o. Moi, j'étais de l'autre côté, j'attendais mon Ceylan, un Dumas posé sur la table en faux marbre. Et puis, il s'est levé, a jeté sa barquette vide et est entré dans le café. La radio passait une chanson des Kinks, j'ai oublié laquelle. Il a commandé un irish coffee et est allé s'asseoir face à la baie. Il a regardé passer les bateaux et crier les dockers, un maigre sourire étirait ses lèvres gercées par le froid. Il s'est rongé les ongles, ignorant le serveur qui lui apportait son café. Quand je suis partie, il n'y avait toujours pas touché. Je suis passée devant la poubelle des docks, il n'y avait plus sa petite barquette en plastique. J'ai cherché autour, j'ai même regardé si elle ne flottait pas sur l'onde grise du Mersey. Non. Bon. Alors, j'ai peut-être tout inventé, en fin de compte.



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